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Bravos de la Nuit 36e édition : Interview de collectifs
Mammouth Collectif – « Naguère »
Un lieu, des personnes-âges plein de jeunesse et les histoires qui les traversent. Une mise en abîme de la création collective : créer et se regarder créer, ensemble, tout en se demandant inlassablement en quoi réside le sens… Se cache-t-il dans les étoiles ? Surgit-il du magma fertile de l’improvisation ? Nous surprend-il dans les infimes expériences d’une nuit partagée entre amis ? L’écriture, construite de manière collective, offre son récit en trois tableaux au travers desquels les angoisses et les questions métaphysiques, écologiques, existentielles, allument soudain les étincelles d’une joie irréductible toujours à portée de main : le bonheur de se laisser être, l’allégresse d’être ensemble. Une épopée burlesque et intime, universelle et pleine d’amour, dans l’époque – et pourtant hors du temps – issue du rêve-tempête de six cerveaux réunis en un…
Une excursion-voyage, une randonnée-orbite qui emmène son public en regardant par dessus sa tête un ciel où les étoiles s’allument une à une. Des scènes cocasses, tendres et émouvantes de la vie de groupe pour un spectacle dans lequel le banal et le saugrenu prennent une dimension surréaliste, puis reviennent au présent nous parler de la réalité, mais de quelle réalité est-il donc question ici ? Bouillonnant, poétique, « Naguère » invente des passerelles entre le futur de notre passé, des histoires qui nous sont peut-être arrivées à nous aussi, et le moment présent, ici, avec nous, qui avons soif de questions posées à la nuit et de réponses demandées au feu de camp, collectivement et chacun⋅e à sa manière. « Naguère », c’est hier, aujourd’hui – et demain, peut-être…
Partez donc en Naguère avec votre havresac ! Qu’il se remplisse doucement d’insolites images, paroles, gestes, danses, comme si de malicieux farfadets continuaient à y gigoter à la recherche… d’une forme d’avenir pour la terre et nous tous, peut-être, de bonnes raisons d’aimer et de s’aimer, sans doute.
Interview de Johan Boutin, après-midi du 19 août, avant la première :
Qu’est-ce que le festival des Bravos de la Nuit représente pour vous dans l’ensemble de vos expériences ?
En fait, nous sommes quelques membres du Mammouth Collectif à être venus l’année dernière. Nous jouions à Lyon une adaptation de la pièce du Don Juan de Molière, et des membres de la commission programmation des Bravos étaient venus nous voir et avaient souhaité que nous présentions le projet à Pélussin. Ça a été vraiment une super expérience. Comme nous étions trois des six membres du Mammouth Collectif à jouer Don Juan et que nous étions sur la fin de notre calendrier de préparation du spectacle, qui était déjà bien rodé, nous nous sommes dit que ce festival était totalement approprié à accueillir notre nouvelle pièce. Parce qu’il a cette volonté de promouvoir la création, avec des formes en mouvement… Nous avons donc demandé à venir répéter à la maison Gaston Baty au printemps, avons été très appuyés dans cette démarche par Leïla Bernard, élue à la culture. Cela nous a permis de faire venir la commission programmation et c’est arrivé comme ça. Il y a donc une sorte de marrainage, de parrainage de la commune et du festival sur ce projet, qui permet aujourd’hui l’aboutissement de cette nouvelle création.
Comment passe-t-on de Don Juan à Naguère ?
En effet, ce sont deux mondes très différents ! Avec le Mammouth Collectif, nous sommes six comédiennes et comédiens très amis dans la vie, car nous étions ensemble au conservatoire de Lyon. Nous avons monté ce collectif sur la fin de notre parcours là-bas. Nous avons fait une première pièce d’un auteur qui s’appelle Copi, en sortie de conservatoire. Nous avons des espèces d’atomes crochus à plein d’endroits, notamment sur une certaine forme de burlesque dans le jeu. On se marre beaucoup, on aime bien rigoler, faire des blagues. Il y a cette chose qui nous rattache, et il y a eu la volonté de se dire qu’on aimerait bien travailler une fois sans metteur en scène, pour se sentir libre et faire cette expérience-là. Et puis on a poussé un peu les curseurs et on s’est dit qu’on allait écrire le spectacle collectivement. En partant de rien, de nos angoisses, de nos rêves, de nos désirs, nous avons fait cette écriture de plateau, à partir d’improvisations. On a vécu également les « affres » du travail en collectif, mis énormément de protocoles en place, pour éviter la violence, pour ne pas d’un coup partir trop vite sur des choses, ce qui fait que certains pourraient se sentir lésés. On a donc pris trois ans pour créer ce spectacle, ce qui est très long, mais il y avait besoin d’inclure des pauses, pour être sûrs de pouvoir le faire. À certains moments, on a même eu peur, car ça ne semblait pas possible de vraiment faire ça collectivement.
Ce soir, c’est la première, donc cela nous prouve que si, c’est possible. En plus d’être une très belle aventure théâtrale, c’est pour moi à titre personnel une aventure amicale, humaine et aussi politique. Il y a quelque chose de très fort dans ce qui a été mis en place pour y arriver. Ce qui n’a bien sûr rien à voir avec le montage de Don Juan, qui est écrit, dont on sait que « ça marche ».
C’est la problématique de l’intelligence collective : prendre soin des relations tout en réalisant le projet ensemble…
Exactement. Les deux sont à « faire bien comme il faut ». Et puis il faut faire attention à cette tendance qu’on a à vouloir prendre le pouvoir dans une situation. Je trouve en tout cas qu’il y a eu beaucoup de joie. Il y a énormément de joie depuis que nous sommes là. Nous sommes vraiment contents d’arriver à cette étape de la première représentation, qui a lieu ce soir.
Les grands thèmes de « Naguère » ? Le voyage ?
Le voyage, oui, presque le voyage dans le temps… On s’est posé des questions : nous sommes très pris dans un monde qui fait un peu peur. Cette peur est présente. Peur de l’avenir, sur le climat, la question de l’écologie, très présente. On s’est dit : qu’est-ce qui nous rassure ? Et on a trouvé un lieu fédérateur auquel il faudrait qu’on revienne, l’idée de se re-raconter de belles histoires autour du feu, et c’est ça qui va créer du lien. C’est donc l’histoire de trois groupes, à trois époques différentes, qui se retrouvent sur le même lieu. Par exemple, on s’était imaginé Virieu, son château, ses ruelles, on voyait les gens qui passaient ici il y a 300 ans, avec leur hallebarde, qui marchaient dans ces mêmes rues que nous empruntons aujourd’hui. Un même lieu, des époques et des personnes différentes… Du coup, dans « Naguère », il leur arrive quelque chose de magique, qui fait que ça va être un des moments les plus beaux, les plus inoubliables de leur vie. Et ces trois groupes, ces trois scènes théâtrales, sont entrecoupés d’un conte qu’on a écrit, un conte post-apocalyptique, mais qu’on a voulu – pas à la sauce Netflix, avec ce délire survivaliste… mais plutôt dans quelque chose comme : « Et si on se racontait une autre histoire, ça serait peut-être le moment ? » Quelque chose d’assez doux, on voulait quelque chose qui fasse du bien !
On a besoin de ça ? Pour ouvrir des portes ?
Exactement. Il y a un auteur que j’aime beaucoup, qui s’appelle Cyril Dion, qui parle beaucoup de ça, des nouveaux récits. Il faudrait peut-être arrêter de s’imaginer avec des zombies et se dire « et si on replantait des arbres ? »…
Qu’aimeriez-vous ajouter ?
J’aimerais remercier. Nous avons été très touchés par le mot de Leïla ce matin lors de l’inauguration, alors un immense merci et un grand BRAVO pour cet accueil, cette démarche politique si importante… L’an dernier j’avais été hyper-ému par cette volonté qu’on retrouve ici à Pélussin de défendre coûte que coûte la création. Je voulais saluer ça !
NAGUÈRE – Création 2023 – 1h10 – à partir de 7 ans
MAMMOUTH COLLECTIF – Jeu, écriture, mise en scène Laure Barida, Émile Bailly, Johan Boutin, Arthur Colombet, Pauline Drach et Mathilde Saillant
Collectif Polyèdre – « Charly 9 »
Interview d’ Élise Watts, Julie Hugon et Jeanne Demay, le mercredi de canicule 23 août 2023
Cette pièce est impertinente, piquante, tout en étant horrifiante… elle questionne, bouscule, elle nous « brasse ». Qu’est-ce qu’elle nous dit, nous enseigne aujourd’hui, cette histoire qui a 451 ans ?
Élise W. : Oui, aujourd’hui nous sommes le 23 août. La nuit de la Saint Barthélémy, c’était le 23 août 1572. Incroyable ! En plus, la pièce parle de la chaleur qu’il y avait dans les ruelles pavées à ce moment-là, qui rendait les gens encore plus fous…
Notre spectacle, on ne veut pas que ça soit une morale, ça n’est pas un spectacle moralisateur. On raconte une histoire avant tout, et le public fait sa « tambouille » interne pour en tirer les conclusions qu’il souhaite. Mais c’est vrai qu’on joue sur l’impertinence et sur l’humour noir, grinçant. On utilise toute cette histoire pour dénoncer l’actualité et il y a encore cette question qui traverse le 21e siècle, tuer au nom de Dieu, de la religion, pour assouvir un désir de pouvoir. C’est cela surtout, qu’on dénonce. Les élites sociales qui utilisent la soi-disant « spiritualité » pour garder leurs privilèges et rester au sommet de la pyramide.
L’histoire a été ce qu’elle a été, les historiens sont partagés sur « qui a dit quoi » « qui a fait quoi », puis Jean Teulé a donné sa propre version des faits, en quelque sorte, et vous, qu’avez-vous fait par rapport au texte ? Comment avez-vous procédé par rapport au livre ?
Élise W. : À la base, c’est moi qui ai trouvé ce texte, en 2020, et l’histoire m’a complètement fascinée. L’horreur et la folie de ces dirigeants m’ont frappée. Jean Teulé en a fait une caricature : il se base sur les faits réels, historiques, très précis mais son rôle a été d’en montrer le côté absurde. Dans la mise en scène, je voulais me moquer des élites, et donc l’idée a été de partir dans cette direction-là : l’absurde, la folie. Les traits de caractère de Charly 9 qui apparaissent le plus sont son côté enfantin, immature et aussi fuyant, lâche. Les conseillers royaux et la famille royale montrent toute leur avidité de pouvoir, leur égocentrisme… bien sûr les traits de caractère de chacun sont exagérés mais Jean Teulé, qui aimait beaucoup Cavanna (fondateur de Charlie Hebdo), avait ce goût de se moquer des gens.
Charly 9, lui, répond à l’horreur, sa façon d’être est sa seule réponse possible à quelque chose qui le dépasse. Il est soumis aux décisions et plus on va vers la fin, moins il semble avoir conscience de ce qu’il fait.
Jean Teulé avait déjà beaucoup caricaturé dans son livre et dans l’interprétation du texte, nous nous sommes amusés à tirer encore plus les traits des personnages hauts placés. Dans le jeu, dans les costumes, les anachronismes qu’on trouve dans le roman…
Les comédiennes : Tout en gardant quand même quelque chose d’un peu fin, pour ne pas perdre le tragique de l’histoire, qui est la Saint-Barthélémy, tous ces morts… ce qui amène à quelque chose de comique, mais où l’on rit jaune…
Élise W. : On a beaucoup joué sur les anachronismes. L’écriture de Jean Teulé est à la fois très classique, s’inspire du vocabulaire du 16e siècle, et a des expression très actuelles, contemporaines. Ça ressemble presque à du Camelot, quoi. Ces anachronismes, on les a décliné dans les costumes, les accessoires (Catherine de Médicis porte du cuir, on a des Dock Martins sur scène… et des collerettes du 16e siècle), au travers de la musique : il y a des chants d’époque, des chœurs polyphoniques a cappella et les transitions sonores sont des créations électroniques contemporaines de notre ami Rémy Roset. On a joué tout du long à mélanger les deux époques.
Comment se passe le festival pour vous ?
Les comédiennes : C’est une telle opportunité, une chance incroyable pour nous. Ce festival a une taille humaine qui nous convient. La générosité des bénévoles, des organisateurs, le confort dans lequel on est, avec lequel on nous reçoit, et en plus on sent à quel point tout cela est fait pour la culture et pour l’art. On sent qu’on a notre place ici ! Il y a beaucoup de bienveillance, on est choyés, et on a une chance incroyable de pouvoir jouer autant de fois d’affilée, avec autant de monde, en étant accueillis à bras ouverts à chaque fois. Pour nous, qui sommes un collectif émergent (il existe depuis 2 ans), nous nous sentons comme des coqs en pâte. C’est précieux, de pouvoir mettre autant au service des artistes, des compagnies, tout est fait pour que ça soit une semaine entière de joie, de partage, c’est une vraie aubaine !
Élise W. : Oui, ça nous permet de jouer en extérieur, donc avec un autre public, d’ouvrir le spectacle. Avec Charly 9, on a envie de partir en tournée, donc c’est un peu le début, le premier pas, de la tournée.
Les comédiennes : Ça crée aussi des relations qui pourront peut-être mener à des partenariats, par exemple avec les écoles, les collèges… Des professeurs de collège de Pélussin parlaient de montrer le spectacle aux ados, de faire des ateliers, et ça c’est vraiment une direction dans laquelle on veut aller avec le Collectif Polyèdre. Ce spectacle correspond vraiment à des publics adolescents, c’est une façon d’apprendre qui est tellement plus ludique… Cela permet aussi de rencontrer l’écriture de Jean Teulé, qui est un auteur contemporain, de découvrir la passion du théâtre, le mot mis en bouche.
Pour vous, les comédiennes : comment vivez-vous cette expérience, cette pièce-là ?
Les comédiennes : Dans ce spectacle, au-delà de ce qu’on raconte et de ce qu’on véhicule comme message, il y a une grande part de collectif : ce spectacle nous pousse à être ensemble, très fort à l’écoute les uns des autres. C’est une partition, non pas individuelle, mais collective. On joue avec les autres, on s’amuse de cette chorégraphie scénique qu’on a créée.
Nous jouons des personnages qui sont très grisants. Ils sont très caricaturés, du coup on pense au clown, à la Comedia del Arte, on s’amuse beaucoup, et c’est vraiment très agréable à jouer, même si c’est un spectacle qui est aussi très énergique, qui demande beaucoup physiquement : on court partout, on change d’un personnage à un autre, parfois en trente secondes ! On peut passer d’un vieil homme à une femme jeune, on joue une multitude de personnages…
Oui, c’est un spectacle qui va souvent très vite, avec plein de tableaux différents… Cependant, dans une scène comme la scène de départ – on sait tous qu’il va finir par céder, avec tous les autres qui lui mettent la pression -, on passe par toutes les affres des hésitations de Charly 9 et la scène s’allonge, prend tout son temps… il y a vraiment le temps long du départ puis le temps qui s’accélère, se multiplie, avec des scènes qui nous surprennent par leur soudaineté, leur absurdité, leur bizarrerie… Avez-vous dû faire beaucoup de choix, pour les scènes ?
Élise W. : Oui ! À la base je suis arrivée avec un pavé et je leur ai dit « Bon, on va lire ça ! ». La pièce durait environ 3h… ! Et puis nous avons élagué, au fur et à mesure des répétitions. Certaines scènes ne marchaient pas du tout, nous avons resserré, enlevé des personnages, fusionné des chapitres entre eux, supprimé des passages, modifié certaines choses pour qu’un même personnage porte la parole de deux, par exemple… Dans le livre, il y a 60 personnages, et là nous arrivons à une vingtaine. Pour la dramaturgie, il est important de faire des choix. C’était un travail très intéressant à réaliser !
Au fait, les chants sont beaux et vous avez de très belles voix !
Merci beaucoup, merci pour cet entretien, c’est toujours un plaisir pour nous de parler de la pièce, et puis à chaque fois cela nous la fait voir d’une autre façon. Cela nous permet de faire grandir le spectacle, de le rendre de plus en plus lisible pour les spectateurs… Merci.
CHARLY 9 – Création 2022 – 1h35 – à partir de 8 ans
Mise en scène : Élise Watts
Assistanat mise en scène : Camille Blois
Jeu : Maxence Catcel, Jeanne Demay, Julie Hugon, Nissa Gaël Martin et Joséphine Moreira/ Ludovic Payen
Musique : Rémi Roset
Costumes : Magali Puidupin
Décors et accessoires : Marine Denis