« Nous avons retiré beaucoup de choses de ces explorations avec Maurice ! D’abord, nous avons été impressionnés par la belle passion que Maurice, et son collègue Jean qui était là avec nous, ont pour les pierres. Ils nous ont amenés sur place puis Maurice nous a demandé ce que nous voyions. Or, de notre œil non initié, il faut bien reconnaître que nous ne voyions pas grand-chose. Il nous a alors été expliqué comment on peut ‘voir’ les choses et comment on peut s’interroger.
Par exemple, dans un champ donné près de Colombier, un gros tas de pierre se montrait... puis tout à coup nous en apercevions un autre, puis encore un autre, avant de réaliser qu’en fait il y en avait de nombreux. Étaient-ils des lieux sacrés, des empilements qui avaient une fonction, des sépultures ? Nous ne pouvons que faire des suppositions.
La Tortue est un très beau site. Nous nous sommes demandé, par exemple, comment il est possible que les alignements se trouvent dans l’axe de l’équinoxe ? Était-ce voulu ? Pourquoi ?
Cela donne donc lieu à un questionnement permanent, parce que nous n’avons pas les explications, les réponses. On pourrait d’ailleurs se dire que la vérité ferme un imaginaire. L’étonnement est primordial, pour nous, dans la création artistique et dans notre façon d’être ‘Sapiens’. En faisant ces expériences de terrain, nous avons réussi à comprendre, à pressentir certaines choses, mais les questions restent et elles sont essentielles.
La preuve scientifique, lorsqu’elle existe, est là pour guider l’imaginaire, mais je ne suis pas certain qu’elle doive être le point final de la pensée. Elle amène aussi à une question. Il peut toujours y avoir débat. Dans cet espace-là, l’imaginaire croise les vérités entre elles, c’est comme une constellation d’étoiles, comme autant de petites vérités.
Par exemple, concernant les organisations : de cette époque lointaine, des dizaines de milliers d’années en arrière, nous avons des représentations. Nous voyons les hommes qui chassaient et des femmes qui restaient dans les abris, mais peut-être que ça ne se passait pas du tout comme ça, et que c’était tous les actifs qui chassaient. La représentation que l’on se fait vient peut-être d’une forme « patriarcale » de pensée. La vérité scientifique elle aussi doit se libérer des biais sociétaux, cognitifs, pour atteindre à plus de précision.
Un autre exemple avec la couleur de peau : quelle que soit notre façon de les imaginer, on sait que les sapiens avaient la peau sombre, cela a été prouvé par des études. Le climat (la plus ou moins grande exposition au soleil), l’évolution de l’alimentation ainsi que les croisements entre hommes et femmes d’origines différentes ont pu chacun à leur manière jouer un rôle dans un éclaircissement progressif de la couleur de peau.
Tout ça est intrigant, n’est ce pas ? Ça nourrit l’imaginaire.
En ce qui concerne la pièce que nous montons avec les comédiens, elle se nourrit donc de ce balancement perpétuel entre vérité et imaginaire. Nous restons dans le questionnement, nous ne souhaitons pas donner de réponse définitive. Comment va-t-on raconter… ? En partant des pierres, des paysages… Comment se raconte-t-on une histoire, y-compris avec les doutes qui sont les nôtres ? L’invention se fait à partir de ce qui est là. C’est pourquoi cette balade découverte aura nourri notre travail de création. »